La Croix de la Tonnaz a retrouvé sa place

15.09.2019
Inauguration de la croix de la Tonnaz
Évelyne Périnet-Marquet et famille Arvin-Bérod

C’est l’histoire d’une croix qui a retrouvé la lumière après 225 ans d’attente. La belle cérémonie du 7 septembre dernier a permis à ce patrimoine de retrouver sa place au cœur de la Tonnaz grâce à la mobilisation des habitants du hameau, de l’association « Praz Atre Kou E Vorandre » et de la mairie de Praz-sur-Arly.

Il y avait beaucoup de monde à la Tonnaz le week-end dernier. Les habitants du hameau étaient tous présents, bien sûr, et souvent accompagnés de membres de leur famille venus parfois de loin pour assister à la cérémonie… qui prenait finalement des airs de fête de hameau !

À leurs côtés, le maire, Yann Jaccaz, et plusieurs conseillers municipaux, ainsi que le maire de Juvigny, les membres de l’association « Praz Atre Kou E Vorandre », le Père Duperthuy et des représentants de la paroisse, des Pralins et des résidents secondaires… C’est un vrai petit village qui s’animait sur les hauteurs de Praz-sur-Arly !

Mais quel événement pouvait ainsi fédérer autant de monde ? Une cérémonie, d’un caractère particulier. Celle des retrouvailles entre les Pralins et un pan de leur patrimoine, de leur histoire.

Une histoire qui commence il y a fort longtemps, aux alentours de l’an 1500, date estimée de l’édification de la chapelle de la Thona (ancienne orthographe retrouvée dans des archives). A cette époque, Praz n’est pas une commune. Ses hameaux dépendent de Megève et la Thona est le plus important du secteur en nombre d’habitants. Sans doute les crues régulières de l’Arly et le fond de vallée, assez marécageux, n’incitent pas à vivre trop bas.

La chapelle de la Tonnaz, ainsi que celle de Bonne Fontaine (Flumet), vont subir un cruel destin lors de l’annexion de la Savoie par la France en 1792. Leur sort est même emblématique des frustrations de la population savoyarde dont une partie - mécontente des injustices féodales ayant toujours cours en royaume de Piémont-Sardaigne - avait pourtant accueilli favorablement les troupes françaises et les idéaux du nouveau régime.

Mais les exactions des Révolutionnaires, en particulier le pillage des lieux de culte (objets liturgiques, cloches, destruction des clochers…) et la persécution des prêtres réfractaires, va traumatiser une bonne partie de la population.

C’est ainsi que les deux chapelles de la Tonnaz et de Bonne Fontaine vont être détruites, en. Edmond Arvin-Bérod, président de l’association du patrimoine de Praz, a d’ailleurs lu un extrait de l’extrait du registre des délibérations de l’administration du district de Cluses (du 19 Floréal de l’an 2, soit le 8 mai 1794) ordonnant leur destruction.

«  Le quatrième bureau observe qu’il lui est survenu qu’il existe une chapelle rière la Commune de Megève au village appelé la Thonnaz où les fanatiques de ladite commune et de celle de Flumet se rendent très souvent en foule pour y pratiquer de prétendus exercices du culte et y tenir des assemblées et que ces assemblées se dispersent à la vue des officiers municipaux qui surveillent à la tranquillité publique. Observe encore qu’il existe une autre chapelle sur une montagne appelée à la Bonne Fontaine, commune de Flumet, laquelle sert aussi de rassemblement aux fanatiques de ces deux communes. »

La municipalité de Megève fut donc invitée à les détruire. C’est le citoyen Mathieu Arvin-Bérod, officier municipal, qui fut désigné pour surveiller l’exécution de cette décision.

Ce n’est donc pas un hasard si, 225 ans plus tard, Edmond Arvin-Bérod s’implique dans la réhabilitation du dernier vestige de la chapelle, la croix, cachée à l’époque par les habitants de la Tonnaz.
Samedi, il déclarait, avec émotion, mais non sans humour : « Je ne sais pas ce que mon ancêtre Mathieu pensait vraiment de la mission qui lui avait été confiée, mais je puis dire aujourd’hui, avec la réinstallation de la croix, que l’honneur de la famille est sauf. »

La croix gisait sur le balcon d’une des vieilles fermes du hameau depuis longtemps. Très abimée, elle avait été récemment restaurée par les habitants de la Tonnaz eux-mêmes, qui la considéraient comme faisant partie de leur patrimoine.

C’était aussi l’avis de la mairie de Praz et de l’association créée par Edmond Arvin-Bérod. Un appel aux dons a été lancé l’an dernier. De nombreuses personnes et entreprises ont apporté une contribution. Le fonds a été complété par une subvention municipale. Tout cela a permis de financer un joli socle pour mettre en valeur la croix à quelques mètres de l’emplacement supposé de l’ancienne chapelle, avec l’autorisation de la famille Rey, propriétaire du terrain, qui l’a mis à disposition de la collectivité.

Le maire, Yann Jaccaz, a profité de la cérémonie pour rendre hommage à Michel Rey, décédé en juin. « C’était une figure du village, un homme soucieux de l’intérêt général, pionnier de l’agrotourisme avec son épouse, Jocelyne, et investi dans sa profession. Il était président du Syndicat Agricole et vice-président de la Coopérative du Val d’Arly ».
Une minute de silence a été respectée pour honorer sa mémoire.

Yann Jaccaz a ensuite remercié l’association pour son action. Il a salué son dynamisme et le nombre important d’adhérents qu’elle rassemble. « Nous souhaitons multiplier les actions pour valoriser le patrimoine local. Il est important de connaître notre histoire afin de mieux comprendre et de mieux préserver ce qui fait la particularité de notre territoire. C’est aussi un moyen d’échanger avec nos visiteurs, de développer un autre tourisme. D’ailleurs, après le sentier des contrebandiers, la mairie réfléchit à un nouveau sentier thématique et ludique qui irait de la Tonnaz au Plan de l’Aar. Une bande dessinée raconterait, entre autre, cette période révolutionnaire. Nous ne manquerons pas de faire participer l’association et les habitants du hameau. »

Il a aussi remercié le maire de Juvigny, Denis Maire, d’avoir fait le déplacement. Ce dernier était touché de partager ce moment avec les Pralins. Il a expliqué que la cloche de l’ancienne chapelle trônait, depuis 200 ans, au sommet de l’église de son village !
Elle avait, en effet, été récupérée en 1796 pour remplacer celle de Juvigny, si bien cachée en 1794 qu’elle était introuvable (elle ne sera retrouvée qu’en 1803 !).

M. le Maire avait d’ailleurs accueilli des membres de « Praz Atre Kou E Vorandre » il y a quelques mois pour leur montrer la cloche, qui porte bien les inscriptions de la Thona.
Il espère que cette histoire commune permettra de lancer des initiatives entre les deux communes.

La matinée s’est poursuivie par une très belle cérémonie de bénédiction de la croix par le Père Duperthuy. Un moment de recueillement qui donnait une dimension particulière à l’événement.

Bénédiction de la croix de la Tonnaz
E. Périnet-Marquet et famille Arvin-Bérod

Avant de se quitter, tous les invités se sont retrouvés autour du buffet offert par la mairie et agrémenté par le pain fabriqué gentiment par Christian Chêne dans le four de la Tonnaz, situé à quelques mètres de la croix.
Un moment très convivial, qui a permis des retrouvailles. De nombreuses personnes, dont les racines se trouvent à la Tonnaz, étaient en effet présentes. D’autres, qui vivaient trop loin (dont une personne en Grèce) n’ont pas pu venir mais ont participé à la souscription.

De quoi faire dire au maire, Yann Jaccaz, « qu’il serait intéressant d’organiser d’autres initiatives de cette nature. Que le patrimoine contribue ainsi à rassembler les gens et à leur apporter un vrai moment de joie et de retrouvailles est extraordinaire ». 

Évelyne Périnet et famille Arvin-Bérod
Évelyne Périnet et famille Arvin-Bérod
Évelyne Périnet et famille Arvin-Bérod
Croix de la Tonnaz fleurie
E. Périnet et famille Arvin-Bérod