Louis Chabaud s’en est allé
C’est une figure du village qui nous a quittés mardi, à l’âge de 82 ans. Louis Chabaud était un des fers de lance du mouvement de l’art singulier en France. Le maire de Praz-sur-Arly, Yann Jaccaz, lui a rendu hommage, avec ce texte, lors de la belle et originale cérémonie d’adieu organisée aujourd’hui par sa famille et ses amis. Beaucoup d’artistes étaient présents.
Louis,
Il paraît que tu es parti. Pour ma part, j'avoue avoir du mal à y croire. Un homme comme toi, ça ne peut pas mourir. Qui imaginerait un personnage de comédie, de théâtre, de music-hall disparaître ? Parce que tu as beau être connu comme artiste peintre, ceux qui te connaissent bien diront que tu es en fait, un vrai héros de roman : fantasque, rêveur, grandiloquent quand tu as envie de provoquer un peu tes interlocuteurs, c'est à dire souvent. Rien qu'en y pensant, j'ai l'impression de t'entendre parler, fort, comme toujours.
Et que dire de ton parcours, si atypique, qui montre que la réalité est parfois plus étonnante que la fiction. Tu as eu, en effet, une enfance remplie d'épreuves, une volonté de toujours les surmonter et une envie de partager, de créer, de divertir.
Jusqu'ici, nous habitions sur la même Terre. Mais rare étaient ceux à pouvoir s'enorgueillir de vivre sur la même planète que toi.
Tu as, pourtant, su ouvrir ton univers, à la Ferme de Meuret, dans les expositions ou les musées, aidé par Paulette, ton épouse, qui t'a toujours soutenu dans tes rêves et tes aspirations.
Malgré ton accent du Sud, qui trahissait tes origines, venir à Praz devait être un peu prédestiné puisque ton surnom, depuis 1967, c'était Praline, car tu vendais des confiseries sur une plage de Port Grimaud, où tu avais transformé le métier en jeu d'acteur, faisant de toi une vedette des lieux.
En arrivant à Praz, en 1972, tu suivais Paulette, qui venait d'être mutée, nouvelle institutrice. Votre fils, Manu, n'avait pas encore deux ans. Fanny, elle, allait bientôt naître. Vivre à la montagne, c'était un peu ton rêve, pour le travail et pour le bonheur de voir la neige. Tu étais très doué pour peindre les paysages, dans un style impressionniste qui plaisait et t'offrait un réel succès auprès des Savoyards et des vacanciers.
Moi qui ait un faible pour l'impressionnisme, j'ai toujours regardé avec admiration les quelques tableaux que tu as conservé, au fond de l'atelier, un peu perdus, il est vrai, au milieu d'un festival de couleurs et de folie. Avec Céline, nous avions aussi découvert de vraies pépites lors de ta rétrospective à Sallanches. Je remercie d'ailleurs Georges Morand, son maire et conseiller départemental, pour cette belle initiative.
Mais l'impressionnisme, tu l'as, un jour, laissé définitivement derrière toi pour embrasser un mouvement moins consensuel mais qui te parlait, qui te permettait d'exprimer ce que tu étais, ce que tu avais sur le cœur.
Tu as ainsi bousculé les codes.
Moi, j'étais encore un enfant, mais j'imagine combien ce choix a dû faire réagir. Je me souviens, d'ailleurs, lorsque je suis devenu animateur à l'Office de Tourisme en 1997, m'être vite retrouvé au milieu d'un monde d'artistes incroyable, avec le festival Hors-les-Normes. Cet univers, ces œuvres, tout cela décoiffait. D'une certaine façon, c'était un peu les extraterrestres qui débarquaient à Praz-sur-Arly pour leur camp de base d'été.
Tu te disais toujours, avec ton éternel sens de la dérision « artiste mondialement méconnu ». Pourtant, tu es devenu un des chefs de file de l'art singulier en France et même au delà des frontières.
Ton travail, d'ailleurs, a été cité dans le dossier de candidature au label Pays d'Art et d'Histoire du Pays du Mont-Blanc, grand label culturel que le territoire vient tout juste d'obtenir cet automne.
Je ne suis pas certain que les Pralins aient vraiment conscience de l'intérêt et de la reconnaissance que te portes le milieu de l'art et de la culture.
Car, pour eux, tu es l'artiste du village, le créateur un peu excentrique de Meuret. Tu as toujours fait partie de notre quotidien quand d'autres se déplaçaient, parfois de loin, pour venir voir tes œuvres.
La ferme, le festival et les ateliers artistiques pour les scolaires organisés par Praz-les-Arts, association que tu présidais avec l'appui de Paulette et de plusieurs bénévoles et artistes - que je remercie - tout cela a justement contribué à familiariser les Pralins – et nos fidèles visiteurs – à l'art contemporain.
Cela a motivé les initiatives autour de l'art, et pas seulement singulier, grâce à différents projets menés par Praz-les-Arts et par d'autres acteurs du village.
Au point que l'art est devenu un marqueur de Praz-sur-Arly, comme le soulignait, en 2009, le cabinet de conseil qui nous aidait à préparer des actions de la Convention Stations Durables signée avec le Conseil Régional.
C'est ainsi que la mairie proposera, dans le cadre de ce contrat, de réaliser – avec l'appui des artistes emmenés par Praz-les-Arts – le minigolf d'art singulier qui a tant de succès depuis plus de dix ans. Un bel exemple de l'esprit que nous avons voulu porter, créant un lieu de loisirs très grand public permettant de découvrir, en même temps, un mouvement artistique. Cela n'aurait jamais pu se faire sans toi.
Aujourd'hui, l'art fait partie de notre ADN et nous le te devons en grande partie.
Alors, c'est sûr, tu vas nous manquer. Mais tu n'es pas vraiment parti. Comme je le disais, tu es surement sur une autre planète, où la création est reine. Et tu ne partiras jamais vraiment car tu nous as laissé, sur Terre, tant de peintures et de sculptures qu'elles continueront à nous rappeler ton talent, ton imagination sans limites et ton esprit philosophe faussement provocateur.
Merci infiniment Louis, au nom de la mairie de Praz, et toutes nos pensées chaleureuses à Paulette, Fanny et Manu, ainsi qu'à vos proches et tous les artistes qui t'ont suivi dans tes folies pleines de poésie.