La montagne selon Louis Ours : un milieu exceptionnel en constante évolution

25.01.2022
Louis Ours à la montagne en 2014
Louis Ours

Dans le cadre de la sortie de son livre L'enfant de la neige : la destinée d'un montagnard en décembre dernier, le Haut-Savoyard, Louis Ours, né à Megève en 1943, pendant la guerre, a accepté de répondre à nos questions, dévoilant le portrait d’un homme qui a vécu et connu l’évolution de la montagne, en France et ailleurs, au fil des années. Une rencontre passionnante !

Couverture du livre L'enfant de la neige : la destinée d'un montagnard
Le Livre Actualité Éditions

Quand on lit votre livre « L’enfant de la neige », on ressent de suite votre amour pour la montagne. Qu’est-ce qui vous plaît tant chez elle ?

La montagne est un univers unique où l’homme a dû s’adapter en permanence au relief, au climat, à un environnement difficile qui a forgé des caractères parfois rudes, à son image. La montagne ne fait pas de cadeaux, mais elle apporte d’immenses satisfactions à ceux qui savent la respecter, la découvrir et vivre en harmonie avec elle.

Quel est votre premier souvenir de sortie en montagne ?

Mes premiers souvenirs en montagne furent les années passées à l’alpage de mes parents « Sur les Prés », avec les troupeaux. Comme voisin, nous avions l’alpage de Véry, d’où est issue la grande championne de ski, Justine Braisaz, et un peu plus loin, Franck Piccard des Saisies, qui vient d’écrire un nouveau livre Nouvelles chroniques d’un champion olympique.

Livre Nouvelles chroniques d’un champion olympique de Franck Piccard
Éditions Les Passionnés de Bouquins

La sortie en montagne qui m’a marqué pour la première fois, dans ma jeunesse, a été la traversée de la chaîne du Mont-Joly. Ce magnifique balcon face au Mont-Blanc fait le lien entre Megève, le pays du Mont-Blanc et le Beaufortain. La vue s’étend des Aiguilles de Chamonix aux Aravis, à La Vanoise… Son parcours, parfois à la limite de l’escalade, réserve de belles sensations et le plaisir de randonner au-dessus des vallées aux paysages infinis.

Depuis votre enfance, comment ont évolué les pratiques touristiques en montagne ?

Étant né en 1943, j’ai connu la vie difficile de mes parents avec de faibles revenus sur une petite ferme, près du village de Cassioz, entre Megève et Praz.

Dès l’arrivée des vacanciers, mon père a commencé à les transporter avec son cheval et son traîneau pour les conduire à leurs chalets sur les routes enneigées. À partir de cette époque, un peu d’argent a permis d’améliorer le quotidien.

Grâce au développement des activités touristiques liées au ski, comme les activités sportives ou l’accueil (hôtels, gîtes, locations), les habitants de nos villages ont vu leurs conditions de vie progresser. Ils ont réussi à valoriser les produits de la ferme.

La multi-activité a sauvé les secteurs de montagne permettant le maintien des habitants au pays et la pérennité de l’agriculture montagnarde. Auparavant, les enfants des familles nombreuses devaient s’expatrier à Paris ou en Amérique pour vivre.

Aujourd’hui, les touristes adorent venir dans nos stations villages pour retrouver des racines, rencontrer des habitants et profiter des traditions et productions locales. La qualité de l’accueil, les relations humaines, la découverte d’un milieu préservé… sont des atouts à privilégier.

De quelle façon perçoit-on la montagne en France, au Congo, en Centrafrique, à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe ou à l’Équateur ?

Le fil conducteur qui m’a guidé à travers les montagnes et les pays a été l’intérêt de rencontrer des gens, de comprendre leur mode de vie, leurs coutumes et leurs traditions, et de respecter les valeurs qui les animent.

Du sommet du Mont-Blanc en passant par l’Amérique latine, l’Afrique ou La Réunion, j’ai découvert que la caractéristique qui marquait profondément les comportements des gens correspondait partout aux valeurs véhiculées par les montagnards : adaptation au milieu, accueil chaleureux, entraide et coopération, préservation du patrimoine et des coutumes transmises par les anciens, préservation de l’environnement, fierté de vivre en autonomie et de privilégier les valeurs humaines.

Une rencontre a-t-elle bouleversé votre façon « de pratiquer » / de percevoir la montagne ?

La rencontre qui m’a le plus marqué a été celle de mon ami Jean-Marie, guide de haute montagne, avec qui j’ai réalisé plusieurs fois l’ascension du Mont-Blanc. Originaire du Jura et devenu Haut-Savoyard, il avait une parfaite connaissance de la montagne. Très attaché à la sécurité, il savait transmettre ses connaissances, sa passion de la montagne, son sens de l’amitié.  Son départ dans une avalanche au Mont-Blanc du Tacul*, après une saison de courses ensemble, est resté gravé dans ma mémoire et celle de ses clients.

Une autre histoire, qui m’a marqué, est celle de jeunes élèves du Centre de Formation aux Métiers de la Montagne que j’ai créé en 1977 : celle d’un frère, d’une sœur, d’un père, d’un oncle et d’un cousin qui sont tous partis dans une avalanche à Bonneval-sur-Arc, une magnifique journée de soleil et de poudreuse. Nous venions de passer huit jours en pension dans leur gîte pour préparer, avec les jeunes, les diplômes de moniteur de ski. La dignité et la force de ces familles de Bonneval, m’ont laissé un souvenir inaltérable.

Quelles traditions locales vous ont le plus surpris ? le plus plu ?

Je retiendrai deux expériences :

  • Le séjour à l’île de La Réunion où j’ai pu rencontrer les habitants du cirque de Mafate, à partir du cirque de Cilaos et du col de Taïbit. Loin de tout, sans route, les habitants ont su, comme dans nos montagnes, cultiver leur jardin, élever des poules, des cochons et des chèvres, mais aussi aménager des gîtes destinés à l’accueil touristique en utilisant des panneaux photovoltaïques. Les enfants, tous réunis dans une même classe, profitent d’un environnement exceptionnel, entourés de familles très ouvertes sur le monde via des moyens modernes de communication et l’accueil touristique.
  • Le séjour au Pérou où j’ai pu rencontrer les habitants d’un petit village montagnard situé à 3 000 m d’altitude, à trois heures de marche de la vallée. Une centaine de familles vivaient en autonomie grâce à leurs cultures (pommes de terre, quinoa, légumes divers), l’élevage de troupeaux et une irrigation des parcelles basée sur la déclivité du sol. L’accueil très chaleureux, le partage du repas en commun avec des pommes de terre conservées grâce à la déshydratation par le gel et des cuys (cobayes), et la petite école au toit en torchis avec des enfants très heureux et joueurs. Une qualité de vie qui me renvoyait à mon enfance à la ferme, au milieu des prés et des animaux. Leurs coutumes et leurs traditions se rapprochaient des nôtres quelques soixante années en arrière. Avant le repas ou les travaux des champs, les villageois se réunissaient toujours pour honorer la Pacha Mama (la Terre Mère) qui leur procurait ce dont ils avaient besoin pour vivre. Les croyances ont toujours marqué la vie des montagnards.

Une autre rencontre inoubliable a été celle de la visite du site inca du Machu Picchu*, planté au sommet de la montagne proche de l’Amazonie, qui abritait près de mille personnes. Le culte du soleil et l’ingéniosité architecturale en font un lieu mythique et énigmatique dont on repart avec beaucoup d’interrogations sur ces civilisations anciennes, annihilées par les Conquistadors.

Louis Ours au Machu Picchu
Louis Ours

L’envie d’écrire le livre L’enfant de la neige : la destinée d’un montagnard vous est-elle venue à la suite d’un constat sur le terrain ? Quel message souhaitez-vous faire passer aux lecteurs ?

Après avoir écrit le livre sur la vie de nos parents au pays de Megève, Praz, Combloux… « Les Ours et le collier de la princesse », j’ai souhaité faire profiter le lecteur d’un parcours de vie fait de voyages, de rencontres, de partage et de découvertes, où ma profession de la montagne m’a toujours amené à être curieux : apprendre, comprendre et agir pour aller de l’avant sans renier notre passé et nos valeurs. Aujourd’hui, en tant que membre du Conseil Municipal de Megève, je suis fier de pouvoir également travailler avec le Maire de Praz-sur-Arly pour réfléchir au développement du plateau de Véry et du Sangle, via le comité de pilotage de l’arrêté de biotope, sur la base du développement durable et de la valorisation touristique par les itinéraires de randonnée. La valorisation des alpages, dont je suis co-propriétaire sur Praz, me conforte dans l’idée que les communes, telle Praz-sur-Arly, doivent pouvoir jouer leur rôle pour un bien ancestral qui permet aujourd’hui d’allier agriculture et tourisme.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire ce livre ? Souhaitez-vous remercier des personnes en particulier pour vous avoir soutenu dans cette entreprise ?

Écrire un livre est une véritable aventure. Cela nécessite de plonger dans les souvenirs, d’effectuer une recherche documentaire, de rédiger, de mettre en page… Cela demande près de deux ans et ne peut se concrétiser qu’avez la contribution d’éditeurs et de distributeurs, telles les librairies locales ou importantes comme la Fnac, Decitre ou Nature & Découvertes.

La librairie de Praz-sur-Arly est toujours à l’écoute et disponible pour diffuser les ouvrages.

L’année 2022 sera pour vous l’occasion…

De continuer à mettre à jour des guides de randonnées, notamment ceux du Pays du mont-Blanc et des Aravis qui valorisent nos itinéraires grâce à des thématiques remarquables et des adresses de gîtes et auberges montagnards.

Pour Louis Ours, qui ne se « considère pas comme un écrivain mais comme un raconteur et un passeur de valeurs », cette médaille d’or de la Jeunesse, des Sports et de l’engagement associatif reconnaît tout le parcours de formation qu’il a réalisé au service des jeunes pour préparer les métiers sportifs de la montagne. La médaille du Tourisme, elle, constate son action sur l’organisation du métier d’accompagnateurs en montagne, la direction des stations de ski nordique qu’il a exercée au niveau national et les actions de formation au profit des professionnels impliqués dans le développement touristique.

Médaille d’or de la Jeunesse, des Sports et de l’engagement associatif

* Le Mont-Blanc du Tacul est un sommet du massif du Mont-Blanc, situé entre l'Aiguille du Midi et le Mont Maudit, culminant à 4 248 m. Il se trouve sur une voie d'accès au Mont Blanc et son accès est rapide grâce au téléphérique de l'Aiguille du Midi

* Le Machu Picchu, signifiant « vieille montagne » en quechua, est une ancienne cité inca du XVe siècle qui aurait été, selon des documents trouvés par l’archéologue américain Hiram Bingham, une résidence de l’empereur Pachacútec et/ou un sanctuaire religieux